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La réforme des juridictions financières, un enjeu citoyen.

À la suite du mouvement du mouvement de contestation des « gilets jaunes » en 2018, le Gouvernement s’est engagé dans un grand débat national invitant les citoyens à débattre des questions essentielles pour les Français. A cette occasion, 42,8% d’entre eux ont sollicité une meilleure information sur l’utilisation des impôts et 2,9% ont même proposé de renforcer le caractère contraignant des rapports de la Cour des comptes. Cette volonté répondait à la lettre de l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’homme et des citoyens selon lequel, « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ».

Les juridictions financières que sont la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC ) répondent à cette exigence. Les secondes ont été créées en 1982 dans le cadre de la décentralisation. Elles ont la charge du contrôle des comptes des collectivités locales. Il leur appartient d’engager la responsabilité personnelle des gestionnaires publics lorsque des manquements dans leur gestion sont établis. Elles disposaient donc d’importantes missions de contrôle.

Au regard de l’enjeu pour les citoyens contribuables, on ne peut que s’étonner de voir une réforme aussi importante prise par ordonnance, sans débat démocratique. En effet, ces nouvelles orientations ont été négociées entre le ministre des comptes publics et le Premier président de la Cour des comptes, puis arbitrées directement par le Premier ministre avant d’être présentées aux personnels des juridictions financières, sans concertation préalable. Le caractère brutal de cette réforme est renforcé par ses modalités : une habilitation par ordonnance du Gouvernement laissant peu de place au débat parlementaire sur un sujet qui concerne tout à la fois le bon fonctionnement de la démocratie locale, l’équilibre des pouvoirs publics et le contrôle de l’argent public auquel les français sont attachés. L’ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des responsables publics a été prise dans ce cadre.

Cette ordonnance recentralise le pouvoir de contrôle et de sanction des CRTC. À l’échelle de la France, les CRTC prenaient environ 400 décisions de sanction par an. Les nouvelles règles prévoient que ces sanctions leur échapperont. Un régime de responsabilité unifié des gestionnaires publics sera créé, comptables publics et ordonnateurs non élus (directeur d’hôpital, proviseur de lycée, principal de collèges, fonctionnaires locaux…). 

Sans doute, la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics, était dévoyée par la possibilité pour le ministre des Finances de ne pas appliquer pleinement les décisions du juge des comptes. Mais la solution n’était pas forcément de supprimer le pouvoir de sanction et de le recentraliser en l’attribuant à une unique chambre du contentieux au sein de la Cour des comptes. Le transfert des missions juridictionnelles, en plus de se situer à rebours de la volonté de proximité pour une meilleure efficacité de l’action publique, risque de conduire à l’atrophie du contrôle local et de conduire in fine, en cas de constatations de manquements financiers à un transfert des faits constatés aux seules juridictions pénales, alors qu’une responsabilité financière serait plus adaptée.

Surtout, la réforme prévoit, pour démontrer la faute d’un gestionnaire, des critères extrêmement contraignants : le volume et le périmètre des mises en cause sera circonscrit aux fautes graves ayant causé un préjudice financier significatif. La définition est vague : « Le caractère significatif du préjudice financier est apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget de l’entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable. ». Elle pourrait conduire à une réduction du nombre des sanctions, déjà peu nombreuses.

Ce contrôle juridictionnel ne concernera pas les élus. Le texte est clair : ne sont pas justiciables de la Cour des comptes les membres du gouvernement et les exécutifs locaux. C’est encore une occasion manquée : le rapport pour ‘Renouer la confiance publique’ soutenait « que l’existence d’un mode de responsabilité spécifique des ministres n’est pas un argument permettant d’écarter les membres du Gouvernement du champ de compétence des juridictions financières ». Il ajoutait :« il ne serait pas illogique que les vagues successives de décentralisation, qui se sont naturellement accompagnées d’une autonomie renforcée dans l’engagement des dépenses locales, se traduisent aujourd’hui par un renforcement de la responsabilité financière des élus locaux. L’action publique locale a en effet connu des changements notables dans les dernières années, notamment dans le domaine de la commande publique où les acheteurs publics se sont vus reconnaître une plus grande marge de manœuvre ». Il n’en sera rien.

Anticor s’inquiète d’une réforme qui déstabilise des institutions garantissant une forme de redevabilité des agents publics, et aussi, d’une certaine façon, le droit de connaître l’emploi des ressources publiques. Cette réforme est de nature à remettre en cause une institution indépendante qui a fait preuve de son utilité pour relever les irrégularités. Le risque de disparition des CRTC, n’est à ce titre pas une préoccupation nouvelle et avait déjà été évoqué lors de la révision constitutionnelle du 28 juillet 2008. Leur maintien est un moyen de garantir la probité des décideurs locaux et en conséquence, la confiance des citoyens en leurs institutions.

L’effacement des Chambres régionales des comptes pourrait affaiblir davantage le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales que les préfets ne sont plus en mesure de véritablement exercer, ce que la Cour des Comptes elle-même a constaté. Déjà, des catégories entières d’actes ne sont pas contrôlées, faute de temps, d’expertise suffisante des agents ou de procédure de transmission efficace entre les sous-préfectures et les préfectures. La notion d’acte contrôlé n’est pas identique selon les préfectures. Certaines ont mis en place des contrôles allégés s’intéressant essentiellement au respect de la légalité externe des actes.

Anticor est aussi préoccupée des conséquences d’une telle réforme, peu démocratique, mise en œuvre par une ordonnance, qui vient s’ajouter aux 300 autres mises en place lors de ce quinquennat.

Enfin, rien n’est prévu qui permettrait de faciliter une saisine citoyenne du parquet près la Cour des comptes. Sans doute, cette Cour a-t-elle fait preuve d’innovation en créant une plateforme citoyenne pour associer le public très en amont, dès le choix des sujets de contrôle. C’est une bonne initiative, qui pourrait être généralisée aux CRTC, mais qui ne permet encore qu’une intervention citoyenne très modeste.

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