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Loi Waserman : la voix des lanceurs d’alerte et des associations a été entendue.

Après d’intenses discussions parlementaires, l’Assemblée nationale et le Sénat se sont mis d’accord ce 1er février sur un texte de loi transposant la directive du 23 octobre 2019 renforçant la protection des lanceurs d’alerte. Le texte, porté par le député Sylvain Waserman, va renforcer leur protection, en permettant entre autres d’accorder aux lanceurs d’alerte et aux associations qui les accompagnent une provision pour frais de justice en cas de poursuite abusive et des possibilités élargies d’immunité pénale.

Ça y est, un cap est franchi. Après avoir été reconnus par la loi le 9 décembre 2016, les lanceurs d’alerte et celles et ceux qui les accompagnent vont pouvoir bénéficier d’une protection renforcée. Si la loi Sapin II avait marqué une étape, elle avait malheureusement déçu par son manque d’efficacité sur le terrain – notamment du fait qu’elle obligeait le lanceur d’alerte à saisir son responsable hiérarchique au préalable… C’est-à-dire à se jeter dans la gueule du loup, notamment quand on parle de corruption ou de détournement de fonds à son employeur ! Nombreux sont en effet les lanceurs d’alerte qui ont subi des représailles après avoir engagé leurs démarches, et la loi Sapin II ne semble pas l’avoir empêché.

Après un intense travail de plaidoyer des associations et des syndicats, une directive européenne n°2019/2037 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union a été adoptée le 23 octobre 2019, qui prévoyait une protection des lanceurs d’alerte plus forte – et qui supprimait notamment cette obligation de saisine interne préalable, en plaçant à égalité la possibilité de saisir son employeur, une institution ou dans certains cas la presse. C’est la transposition de ce texte qui a enfin abouti le 1er février 2022, après plusieurs années de travail de l’ensemble de ceux qui lui ont donné naissance : Sylvain Waserman, qui a porté ce texte contre vents et marées, mais également une coalition de 36 associations et syndicats, dont Anticor, réunis à la Maison des Lanceurs d’Alerte. La loi devrait être votée définitivement courant février. Le débat semblait pourtant mal engagé : après une adoption unanime du texte à l’Assemblée, les associations avaient alerté l’opinion en décembre sur de graves reculs en cours au Sénat, sous l’influence notamment des lobbys de l’agroalimentaire. Fort heureusement, la commission mixte paritaire est revenue à une version plus proche du texte initial.

Le texte va proposer plusieurs innovations majeures pour protéger les lanceurs d’alerte. Pour les reconnaître, d’abord : le « caractère désintéressé » est remplacé par l’absence de contrepartie financière, pour éviter des interprétations fallacieuses. Les lanceurs d’alerte en lien avec la presse dont l’identité ne serait révélée qu’à posteriori seront également reconnus. Par contre, le texte a maintenu hors du dispositif toute information relevant de certains secrets, et notamment le secret de l’enquête et de l’instruction, ce qu’Anticor déplore : les professionnels de la justice et du droit comme Amar Ben Mohammed, prix éthique Anticor 2021, doivent également pouvoir lancer l’alerte sur le fonctionnement de leurs services. On espère que l’interprétation des textes se fera en leur faveur.

Pour les protéger, ensuite : les discriminations dont peuvent être victimes les lanceurs d’alerte sont reconnues au même titre que les autres dans le code du travail ou celui de la fonction publique, ce qui facilitera une saisine en référé du juge en cas de représailles. Celles-ci sont listées de manière exhaustive dans la loi et incluent les sanctions de tous ordres, les poursuites abusives en justice, es ruptures ou non-renouvellement de contrat commercial, les orientations abusives vers les services de psychiatrie…

En matière de poursuites judiciaires, le député Waserman a introduit une innovation de taille. Actuellement, nombre de lanceurs d’alerte sont réduits au silence par des poursuites en justice menées par des organisations puissantes, auxquelles ils ne peuvent faire face. Donnons ici l’exemple de Valérie Murat et son association Alerte aux Toxiques, prix éthique Anticor 2021, condamnée en novembre 2021 à payer 125 000 euros de dommages et intérêts pour dénigrement de la filière viticole – alors que les faits qu’elle avance sont vérifiés… Mais désormais, grâce à cette nouvelle loi, lorsqu’une personne mise en cause revendiquera le statut de lanceur d’alerte, le juge pourra lui accorder une provision pour frais, définitive, pour faire face au procès et aux conséquences de son alerte. En cas de poursuite abusive, le juge pourra prononcer une amende d’un montant pouvant aller jusqu’à 60 000 €.

Autre innovation, dès lors que le lanceur d’alerte aura eu connaissance de son alerte de façon licite, il ne sera pas responsable pénalement s’il produit des preuves liées à cette alerte qui auraient été subtilisées. Ce dispositif consacre le dispositif de liberté de la preuve au pénal en empêchant des poursuites pour vol ou recel pour des lanceurs d’alerte de bonne foi. Le majordome de Liliane Bettencourt, ayant produit des enregistrements clandestins établissant l’existence de financements politiques occultes, pourrait ainsi espérer bénéficier d’une protection.

Pour les accompagner, enfin. Les lanceurs d’alerte vivent bien souvent de longues années de calvaire : mise à l’écart professionnel, licenciement, menaces, poursuites en justice générant de nombreuses incertitudes, générant souvent des dépressions et prises en charge médicales. Outre une promesse d’aide financière et psychologique dont la mise en œuvre reste floue, faute d’amendement gouvernemental sur le sujet, le texte de loi consacre la reconnaissance des différents acteurs autour du lanceur d’alerte. Un lanceur d’alerte n’agit jamais seul en effet : des proches, des collègues, mais aussi des associations et des syndicats sont souvent appelés à l’aide pour analyser la situation et aider le lanceur d’alerte à construire sa démarche. C’est ce que fait Anticor qui reçoit plusieurs centaines d’alertes chaque année. Nous nous félicitons donc de la reconnaissance de ce rôle, tout en regrettant que le rôle de lanceur d’alerte des associations, pourtant évident, ne soit pas reconnu par le texte – et qu’elles ne soient donc qu’imparfaitement protégées contre les représailles.

Le texte facilite également la divulgation publique par les lanceurs d’alerte et donc les contacts avec la presse, les associations et les syndicats : outre les situations de danger grave et imminent (ou simplement imminent concernant les infractions relatives au droit européen), il sera désormais possible de rendre publique une alerte en cas de risque de représailles ou de destruction de preuves si l’alerte était donnée uniquement auprès d’une institution, ou en cas de collusion entre l’autorité concernée et les mis en cause – ce qui est malheureusement possible en matière de corruption, et a pu donner lieu récemment à la saisine de la Cour de Justice de la République par Anticor. La loi n’a cependant pas poussé sa logique au bout, et certaines informations relevant des intérêts de la sécurité et de la défense nationale ne pourront pas donner lieu à une divulgation publique, tout comme celles relevant de secrets protégés tenus hors champ.

La mise en œuvre de ce texte appellera bien sûr toute notre attention. La loi du silence qui peut régner dans certaines administrations ou entreprises ne cessera pas du jour au lendemain, et les représailles continueront même si elles sont interdites. Il faudra continuer de se battre, avec ce nouvel outil, pour que les alertes soient reconnues et prises en compte. Pour ce faire, les associations comme Anticor et la Maison des Lanceurs d’Alerte demeureront des leviers essentiels. Rejoignez-nous !

À lire : le communiqué de presse de la Maison des lanceurs d’alerte.

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