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Suite à la constitution de partie civile d’Anticor, Alexis Kohler est mis en examen

Anticor avait déposé, les 1er juin et 8 août 2018, deux plaintes pour prise illégale d’intérêts devant le Parquet national financier, visant Alexis Kohler, secrétaire général de l'Elysée. Une troisième plainte été déposée en mars 2019 pour manquement à ses obligations de transparence. Anticor a porté plainte avec constitution de partie civile pour qu'un juge d'instruction indépendant instruise l'affaire.

Suite aux révélations du journal Mediapart, Anticor avait saisi, le 1er juin 2018, le parquet national financier des éléments graves portant sur Alexis Kohler, ce qui avait déclenché l’ouverture d’une enquête préliminaire.

Les questions posées à la justice étaient simples : les liens de famille unissant Alexis Kohler et la compagnie de croisières ont-ils pu influer sur le traitement par l’Etat des dossiers du croisiériste ? Et la commission de déontologie était-elle au courant de cette relation familiale du fonctionnaire ?

Soupçons de prise illégale d’intérêts

En effet, en 2010, M. Kohler a été nommé membre du conseil d’administration de la société française Les Chantiers de l’Atlantique / STX France. Or, le croisiériste Mediterranean Shipping Company (4ème compagnie mondiale du secteur, 2ème armateur mondial avec 28 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2015, 6 milliards d’euros de bénéfices en 2014, et principal client des Chantiers de l’Atlantique) a été fondé et est dirigé par la famille Aponte – des cousins germains de la mère d’Alexis Kohler.

M. Kohler a ensuite été successivement directeur de cabinet adjoint du Ministre des Finances, directeur de cabinet du Ministre des Finances puis secrétaire général de la Présidence de la République.

À chaque étape, les éléments révélés par la presse permettent de penser qu’il a profité de ces fonctions pour défendre les intérêts de MSC. Ils pourraient alors être qualifiés de prise illégale d’intérêts, au sens de l’article L432-12 du Code pénal.

Nouveaux soupçons de prise illégale d’intérêts

En outre, le 6 août 2018, le journal Mediapart a révélé que M. Kohler avait, en qualité de représentant de l’Agence des participations de l’État, siégé au conseil de surveillance du du Grand Port Maritime du Havre (dont l’un des principaux clients est également la société MSC), de 2010 à 2012. Il a notamment voté en faveur de contrats entre le port et une des filiales de MSC.

Ces faits sont à même d’être également qualifiés de prise illégale d’intérêts et mettent à mal les éléments de défense avancés jusque-là par M. Kohler.

Pour toutes ces raisons, Anticor avait adressé, le 8 août 2018, une plainte complémentaire auprès du Parquet National Financier portant sur ces nouveaux éléments.

Manquement aux obligations de transparence

M. Kohler a saisi deux fois, en 2014 et en 2016, la Commission de déontologie de la fonction publique d’une demande de mise en disponibilité pour convenances personnelles. Cette formalité est soumise à la production d’une déclaration sur l’honneur précisant l’existence de faits susceptibles de placer le fonctionnaire en situation de conflit d’intérêts entre l’intérêt général de la Nation et ses intérêts privés. Cette attestation constitue une véritable déclaration d’intérêts.

Force est de constater que M. Kohler n’a jamais révélé ses liens familiaux constants, importants et permanents avec les dirigeants de la société MSC.

Or, le fait pour un fonctionnaire nommé dans l’un des emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient « d’omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts […] est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende« . En outre, « le faux et l’usage de faux sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.« 

C’est pourquoi, une troisième plainte a été déposée par l’association, le 19 mars 2019, visant M. Kohler, au titre de sa déclaration de 2016 à la Commission de déontologie de la fonction publique ainsi qu’au titre de sa déclaration à la HATVP.

Obstacles à la procédure.

L’enquête de la brigade financière (BRDE), saisie par le PNF se poursuit normalement. Le 7 juin 2019, le dossier, comportant un millier de cotes, est retourné au parquet accompagné d’un PV de synthèse signé du commissaire divisionnaire en charge de l’enquête. Ce PV comporte des éléments précis et concordants sur la base desquels un juge d’instruction aurait pu être saisi et la mise en examen de M Kohler envisagée.

Cependant, le 1er juillet 2019, un document signé de M. Macron, sur papier libre, sans entête, entre en procédure. Il se présente sous la forme d’une « note personnelle à Alexis Kohler ». Il mentionne que M. Kohler a informé M. Macron de ses liens familiaux avec la société MSC ; qu’il a demandé à ne pas traiter des affaires concernant cette société en tant que haut fonctionnaire ; que des mesures d’organisation ont été prises en ce sens.
Tout change alors, comme si ce message constituait un signal : le 18 juillet 2019, un second procès verbal de synthèse qualifié de « définitif » est adressé au PNF, signé du même commissaire divisionnaire. Mais il est amputé d’une dizaine de pages et ne permettait plus de retenir à l’encontre de M. Kohler la moindre infraction.

Enfin, le 21 août 2019, alors que le PNF est dirigé par une avocate générale dans l’attente de l’installation du nouveau procureur et sans urgence particulière, un avis de classement est signé par le procureur adjoint. En 2020, Anticor se constitue partie civile et des juges d’instruction décident qu’il y a matière à continuer l’enquête, malgré des réquisitions de non-informer du parquet.

Le 23 septembre 2022, M Kohler a été mis en examen pour prise illégale d’intérêts. Il a été placé sous le statut de témoin assisté pour trafic d’influence. Il conserve son poste à l’Elysée, bénéficiant de la présomption d’innocence.

En savoir + : l’enquête d’off Investigation sur l’affaire Kohler.

 

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