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Lois rétablissant la confiance dans l’action publique : le vice-président d’Anticor a été reçu au Sénat

Éric Alt, vice-président d’Anticor, a participé, le 21 juin 2017, à une table ronde au Sénat, présidée par Philippe Bas, président de la commission de lois, dans le cadre de l’examen des lois « rétablissant la confiance dans l’action publique ».

Jean-Christophe Picard, président d’Anticor, s’était préalablement entretenu avec le Garde des Sceaux, Ministre de la justice, le 22 mai 2017.

Éric Alt a exposé les propositions d’Anticor pour améliorer les  textes en discussion :

La réforme envisagée répond à plusieurs demandes récurrentes d’Anticor. Le projet de loi ordinaire impose ainsi le contrôle de l’utilisation de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) et l’interdiction de l’embauche par un élu ou un membre du Gouvernement d’un membre de sa famille. Le projet de loi organique supprime la réserve parlementaire. Un futur projet de loi constitutionnel instaurera la limitation du cumul des mandats et des fonctions dans le temps, la suppression de la Cour de Justice de la République et la suppression du droit accordé aux anciens Présidents de la République de siéger à vie au Conseil constitutionnel.

Pour autant, nous nous inquiétons de la tournure prise par le débat législatif. Le recours à une procédure d’urgence contredit le débat large annoncé par l’ancien Ministre de la Justice. Nous restons préoccupés par plusieurs manques du texte, et souhaitons que le travail législatif puisse prendre en compte les neuf points qui suivent.

1. Une absence regrettable : l’obligation de casier judiciaire vierge pour les candidats à une élection

Nous regrettons la disparition de deux engagements forts pris par Emmanuel Macron. En premier lieu, l’interdiction aux personnes dont le casier judiciaire comporte une condamnation pour atteinte à la probité de se présenter à une élection n’est plus prévue. Pourquoi renoncer à la loi « visant à instaurer une obligation de casier judiciaire vierge pour les candidats à une élection », adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, le 1er février 2017 ? La peine d’inéligibilité ne répond pas à cette préoccupation : outre qu’elle restera à la discrétion des juges, elle ne s’appliquera qu’aux infractions commises postérieurement à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

Une obligation déjà en vigueur dans 396 professions

A titre de comparaison, l’article 5 de la loi du 13 juillet 1983 prévoit que « nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire, le cas échéant, si les mentions portées au bulletin n° 2 de son casier judiciaire sont incompatibles avec l’exercice des fonctions ».

Dans les domaines de la banque et de l’assurance, la nomination des dirigeants responsables est incompatible avec les condamnations définitives, prononcées depuis moins de 10 ans, énumérées par les articles L. 500-1 du code monétaire et financier et L. 322-2 du code des assurances, ce qui exclut la désignation d’un dirigeant condamné pour des infractions de corruption.

Cela vaut aussi pour les magistrats, soumis à une condition plus largement définie de moralité, pour les professions juridiques (notaires, huissiers), pour les experts comptables, pour les professions médicales, pour la création d’entreprise (lors de l’immatriculation au registre de commerce ou au répertoire des métiers), pour l’obtention d’une carte de presse, pour les métiers de la sécurité ainsi que pour les chauffeurs de taxi. Ce document est même exigé pour des fonctions de vigile. Au total, cette obligation vaut pour 396 métiers.

Entre 1995 et avril 2016, l’Observatoire de la Société mutuelle d’assurance des collectivités territoriales a répertorié 1188 condamnations d’élus locaux toutes infractions confondues sur les quelques 3000 élus poursuivis, toutes infractions confondues.

Sur la mandature 2008-2014, l’Observatoire a recensé 171 élus locaux condamnés. Rapporté aux nombres d’élus locaux, le taux de mise en cause pénale pour atteinte à la probité reste faible : 0,99 pour mille élus locaux. Même en prenant une définition très large, comme celle retenu par l’ouvrage Délits d’élus de Philippe Pascot qui dénonce 400 politiques « aux prises avec la justice », le nombre est faible, rapporté aux 600 000 élus français. Mais c’est un symbole important pour l’opinion : la pétition pour l’interdiction aux détenteurs d’un casier judiciaire d’effectuer un mandat électoral a recueilli 146000 signatures au 15 janvier 2017.

La condition d’aptitude n’implique nullement l’automaticité de la peine

Pour faire obstacle à l’obligation pour les candidats à une élection politique de présenter un casier judiciaire vierge, les opposants ont souvent confondu condition d’aptitude et peine automatique.

Par exemple, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 5 octobre 2012 (2012-278), considère que l’exigence de bonne moralité exigée des candidats à la magistrature est conforme à la Constitution. La question dont il était saisi était relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de certaines dispositions du 3° de l’article 16 de l’ordonnance du 22 décembre 1958. Cette ordonnance porte loi organique relative au statut de la magistrature. Son article 16 fixe les conditions requises des candidats à l’une des voies d’accès à l’École nationale de la magistrature (ENM). Le 3° de cet article 16 précise que ces candidats doivent « être de bonne moralité ». La requérante soutenait qu’en utilisant la notion de « bonne moralité », le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence et porté atteinte au principe d’égal accès aux emplois publics.

Le Conseil constitutionnel a écarté ces griefs et jugé les dispositions contestées conformes à la Constitution. (…). En l’espèce, le législateur a posé que les candidats à l’ENM doivent « être de bonne moralité ». Le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions ont pour objet de permettre à l’autorité administrative de s’assurer que les candidats présentent les garanties nécessaires pour l’exercice des fonctions de magistrats, s’agissant en particulier du respect des devoirs qui s’attachent à leur état. Il appartient à l’autorité administrative d’apprécier, sous le contrôle du juge administratif, les faits de nature à mettre sérieusement en doute la présence de ces garanties.

Cette décision ne contredit pas celle du 11 juin 2010, portant sur l’article L. 7 du code électoral (n°2010 6/7 QPC). Cet article prévoyait une inéligibilité automatique pour les élus condamnés pour certaines infractions, notamment les délits financiers (détournement de fonds publics, corruption passive et trafic d’influence, par exemple). Elle a été censurée au motif qu’il instituait une automaticité contraire à l’individualisation des peines, grand principe de la justice française : c’est au juge pénal de décider des sanctions par rapport à l’individu et aux faits qui lui sont reprochés, et de le protéger ainsi de l’arbitraire.

Enfin, les effets dans le temps de la condition d’inaptitude peuvent être modérés. Tout condamné à une peine criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle peut bénéficier d’une réhabilitation soit de plein droit, soit judiciairement (C. pén., art. 133-12). Qu’elle soit légale (C. pén., art. 133-12 à 133-17) ou judiciaire (Code de procédure pénale, art. 785 à 798), la réhabilitation est subordonnée à l’exécution préalable de la peine prononcée, dans la mesure où les peines doivent avoir été subies ou être réputées subies.

S’agissant de la réhabilitation de plein droit, seule concernée par nos développements, elle s’acquiert par l’écoulement d’un certain délai dès lors que la personne condamnée n’a subi aucune condamnation nouvelle à une peine criminelle ou correctionnelle (C. pén., art. 133-13). La durée des délais, qui varie de 3 à 10 ans, et leur computation, dépendent de la nature de la peine prononcée (C. pén., art. 133-13, 1° . – C. pén., art. 133-13, 2° . – C. pén., art. 133-13, 3°). La réhabilitation produit les mêmes effets que ceux attachés à l’amnistie par les articles 133-10 et 133-11 du Code pénal . Elle entraîne, par ailleurs, l’effacement de toutes les incapacités et déchéances qui résultant de la condamnation (C. pén., art. 133-16, al. 1er). Cela étant, depuis le 1er janvier 2008, il est précisé que « la réhabilitation n’interdit pas la prise en compte de la condamnation par les seules autorités judiciaires, en cas de nouvelles poursuites, pour l’application des règles sur la récidive légale » (C. pén., art. 133-16, al. 3) .

Le Sénat est actuellement saisi d’un projet adopté par l’Assemblée nationale le 1er février 2017, et qui satisfait cet objectif.

A supposer qu’une telle disposition pose un problème constitutionnel, Anticor est d’avis de poser cette règle dans la Constitution.

2. Encadrer plus strictement les pratiques de lobbying

En second lieu, l’encadrement strict des pratiques de lobbying n’est plus évoqué. Il nous apparaît pourtant essentiel de compléter le registre des lobbyistes par une connaissance précise des conditions dans lesquelles un texte a été élaboré, notamment des personnes qui ont été rencontrées, des consultations menées ou des contributions reçues. Cette traçabilité améliorerait la compréhension que peuvent avoir les citoyens des raisons pour lesquelles un dispositif a été choisi plutôt qu’un autre. Il serait également souhaitable d’accompagner un tel contrôle par l’interdiction de toute remise de cadeaux aux élus.

L’empreinte normative consiste à joindre à un texte normatif la liste des personnes entendues par les responsables publics dans le cadre de son élaboration, de la rédaction du projet à son entrée en vigueur. Cette recherche de transparence devrait être une évidence quotidienne dans la mesure où un mandat électif est un contrat passé entre les Français et des élus, exercé sur fonds public, pour la recherche de l’intérêt général.

Dans une recommandation du Conseil pour la transparence et l’intégrité des activités de lobbying, du 18 février 2010, l’OCDE indique : « Les pouvoirs publics devraient également envisager de faciliter le contrôle par le public en faisant savoir qui a cherché à exercer une influence sur une loi ou une décision, par exemple en rendant publique un communiqué ou une « empreinte législative » indiquant quels sont les lobbyistes qui ont été consultés lors d’initiatives législatives. » En assurant en temps utile l’accès à de telles informations, on pourra prendre en compte les différents points de vue de la société et des entreprises et disposer ainsi d’informations équilibrées pour l’élaboration et la mise en œuvre des décisions publiques.

Rendre accessibles au moment de l’entrée en vigueur d’une loi ou d’un décret « la liste des personnes entendues, des réunions et auditions organisées, des consultations menées et des contributions reçues » constitue l’un des fondements de l’« empreinte normative » préconisée par le rapport Nadal. Selon le Président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, il s’agit d’un «corollaire indispensable » à la création du registre de transparence. « Il serait en effet inutile de connaître [les lobbyistes] tout en ignorant lesquelles de ces personnes sont effectivement entendues lors de l’élaboration des normes. ».

3. Remplacer l’interdiction des fonctions de consultant par un plafonnement des revenus annexes des parlementaires

Nous sommes conscients de la difficulté constitutionnelle concernant l’interdiction des fonctions de consultant. Cependant, nous ne nous satisfaisons pas de cette situation. C’est pourquoi nous proposons de plafonner les revenus annexes des parlementaires : il ne faut pas que l’activité annexe soit plus rémunératrice que l’activité principale de législateur.

4. Renforcer le contrôle du financement des partis politiques, et confier la certification des comptes des partis politiques à la Cour des Comptes

De même, nous déplorons la suppression d’une mesure annoncée lors de la conférence de presse, du 1er juin 2017. Ainsi, la certification des comptes des partis politiques par la Cour des comptes ne figure pas dans le texte de loi au motif que le Conseil d’État estime « qu’à la différence de l’activité de contrôle des comptes des administrations publiques, qui constitue une prérogative de puissance publique, l’activité de certification des comptes des administrations autres que l’État constitue une activité marchande, qui doit respecter les règles de la commande publique et de la libre prestation de services ».

Anticor souligne que les partis politiques sont destinataire de fonds publics et que l’article 133-3 du code des juridictions financières précise que « la Cour des comptes peut contrôler les organismes qui bénéficient du concours financier de l’État ». Le cas échéant, l’article 47-2 de la Constitution pourrait être modifié pour faire incontestablement entrer la certification des partis politiques dans le champ de compétences de la Cour des comptes.

Anticor souhaite également que le projet de loi porte des dispositions afin :

  • de renforcer significativement les pouvoirs de l’autorité en charge du contrôle des comptes de campagne et de financement de la vie politique. Aujourd’hui, la CNCCFP ne dispose pas des pièces comptables des partis et ne peut exercer de contrôle concret par des investigations. Elle ne peut faire appel aux services de police judiciaire. Elle doit pouvoir s’appuyer sur le travail des commissaires aux comptes des partis, liés par le secret professionnel y compris à l’égard de la Commission ;

  • de permettre un contrôle simultané des comptes d’un parti et de la campagne des candidats de ce parti. La participation à une élection n’est pas juridiquement le fait d’un parti, mais toujours d’un citoyen. Les dépenses qu’un parti engage dans une campagne sont imputées au candidat : les partis ne sont donc pas tenus de déposer de comptes de campagne. De ce fait, la CNCCFP et le public n’ont pas un aperçu global de l’intervention financière des partis politiques lors des campagnes électorales, ce qui limite la portée des dispositions en matière de transparence et aussi de contrôle, en ne permettant pas de recoupements entre comptes de campagne des candidats et des partis ;

  • de permettre aux citoyens d’exercer leur vigilance sur le financement des campagnes et des partis politiques, en assurant une publication plus détaillée des comptes de campagne et des partis politiques et en consacrant le droit à la consultation des documents reçus ou émis par la Commission.

5. Renforcer l’indépendance de la justice

Nous estimons également que de bonnes lois ne sont rien sans une justice indépendante, dotée des moyens nécessaire pour agir avec efficacité. Cela impose, au minimum, la suppression de tout lien hiérarchique entre le ministre de la Justice et les procureurs.

Il s’agit notamment de :

  • Confier au Conseil supérieur de la magistrature le pouvoir de proposer la nomination des procureurs de la République, des procureurs généraux et des membres du parquet général de la Cour de cassation;

  • Soumettre la nomination des autres magistrats du parquet à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature;

  • Transférer au Conseil supérieur de la magistrature le pouvoir de statuer en matière disciplinaire à l’égard des magistrats du parquet;

  • Soumettre la décision de mutation d’office d’un magistrat du parquet dans l’intérêt du service à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature;

  • Retirer les procureurs généraux de la liste des emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres.

Il faut souligner aussi l’importance des officiers de police judiciaire. Le problème tient au fait que les O.P.J. subissent une double tutelle : celle du ministère de l’Intérieur et celle du parquet ou du juge d’instruction qui les requiert pour les besoins d’une enquête préliminaire ou d’une instruction. Dans la mesure où l’affectation des O.P.J. aux besoins de l’enquête dépend d’une décision du ministère de l’Intérieur, celui-ci apparaît, de fait, comme le véritable chef de la police judiciaire. Cette situation doit être corrigée. La réforme pourrait s’inspirer de l’exemple italien. Pour chaque substitut, trois officiers de police judiciaire devraient être détachés auprès de la juridiction et ne dépendre que de l’autorité judiciaire pour leur carrière.

6. Supprimer le monopole des poursuites en matière de fraude fiscale

Cela conduit aussi la suppression du « verrou de Bercy » qui donne à l’exécutif le monopole des poursuites en matière de fraude fiscale. Cette atteinte à la séparation des pouvoirs a notamment posé problème lors de l’affaire Cahuzac ou lorsque Éric Woerth cumulait les fonctions de ministre du Budget et de trésorier du parti au pouvoir.

Anticor rappelle l’opinion de la Cour des comptes : « En France, seule l’administration fiscale peut engager des poursuites pénales pour fraude fiscale, seul délit que les parquets ne peuvent poursuivre de façon autonome. Cette situation est aujourd’hui préjudiciable à l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale. En effet, malgré la création de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, les plaintes pour fraude fiscale demeurent peu nombreuses, mal ciblées et tardives.

La Cour estime nécessaire d’ouvrir aux parquets le droit de poursuivre, sans dépôt de plainte préalable par l’administration fiscale, certaines fraudes complexes, afin de traiter un plus grand nombre de dossiers, d’intervenir plus rapidement et de mieux assurer le recouvrement des sommes dues. Cette possibilité nouvelle donnée aux parquets, qui compléterait utilement la possibilité de poursuivre les faits de blanchiment de fraude fiscale, serait de nature à améliorer significativement l’efficacité de l’action de l’État au prix de risques limités. »

7. Supprimer l’inviolabilité du Président de la République et des parlementaires

De même, nous considérons comme indispensable la suppression de l’inviolabilité dont bénéficient le Président de la République et les parlementaires (qui les empêche de faire l’objet de mesures privatives ou restrictives de liberté pendant la durée de leur mandat, pour des actes étrangers à l’exercice de leurs fonctions).

L’irresponsabilité, immunité absolue, soustrait les parlementaires à toute poursuite pour les actes liés à l’exercice de leur mandat. Elle est établie par la Constitution dont l’article 26, dans son premier alinéa, qui dispose « qu’aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». Elle ne saurait être remise en cause.

L’inviolabilité réglemente les conditions dans lesquelles l’action pénale peut être exercée pour les actes détachables de la fonction parlementaire. Les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat se prononcent sur le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande dont ils sont saisis par la justice. Mais ils se prononcent secrètement, par une décision non motivée.

La Cour européenne des droits de l’Homme s’est prononcée sur l’étendue de l’inviolabilité. Elle a jugé, dans deux arrêts Cordova contre Italie, du 30 janvier 2003, que « lorsqu’un État reconnaît une immunité aux membres de son Parlement, la protection des droits fondamentaux peut s’en trouver affectée. (…) Il serait contraire au but et à l’objet de la Convention que les États contractants, en adoptant l’un ou l’autre des systèmes normalement utilisés pour assurer une immunité aux membres du Parlement, soient ainsi exonérés de toute responsabilité au regard de la Convention dans le domaine d’activité concerné.(…) De l’avis de la Cour, l’absence d’un lien évident avec une activité parlementaire appelle une interprétation étroite de la notion de proportionnalité entre le but visé et les moyens employés ».

Plus encore, le droit comparé contribue à remettre en question la pertinence de la conception traditionnelle des immunités parlementaires. Seule l’irresponsabilité pour les actes commis dans l’exercice des fonctions apparaît comme un véritable corollaire du mandat représentatif : en soustrayant l’exercice des fonctions parlementaires à l’appréciation d’un pouvoir concurrent, elle protège le libre exercice du mandat.

En revanche, la quasi absence d’inviolabilité en droit anglais et américain illustre la capacité du régime représentatif à fonctionner de manière satisfaisante, tout en soumettant au droit commun les infractions détachables de l’exercice des fonctions parlementaires. Parce que le caractère représentatif du mandat permet à l’assemblée de fonctionner régulièrement, même en présence d’une Chambre incomplète, il ne saurait fonder l’existence d’une inviolabilité dont la vocation première est de garantir la présence, effective ou moins potentielle, des parlementaires en séance .

S’agissant du Président de la République, les propositions validées par le Rapport sur le renouveau démocratique pourraient être reprises sans modification:

« Proposition n°17 – Mettre fin à l’inviolabilité du président de la République en matière pénale pour les actes extérieurs à l’exercice de son mandat.

Des règles de compétence et de procédure particulières devraient être posées, et notamment le principe selon lequel il ne pourrait faire l’objet d’aucune mesure restrictive ou privative de liberté pendant son mandat.

Proposition n°18 – Mettre fin à l’inviolabilité du président de la République en matière civile.

De même qu’en matière pénale, des règles de procédure devraient posées pour éviter les actions abusives ou infondées. »

8. Supprimer le délai butoir de prescription de douze ans pour les délits, institué par la loi du 27 février 2017

En outre, le délai butoir de douze ans, à compter de la commission des faits, au-delà duquel il n’est plus possible de poursuivre les infractions occultes ou dissimulées fait aussi obstacle à l’action de la justice. Cette « prime à l’opacité » doit être remise en cause.

La loi portant réforme de la prescription en matière pénale a été promulguée le 27 février 2017. Elle était le fruit d’un consensus républicain rare, car elle avait été proposée par deux députés de bords opposés. Elle était aussi le fruit d’une réflexion importante menée avec les spécialistes et la société civile.

La loi double les délais de prescription pour les crimes et délits. Le délai de prescription d’un délit passe de 3 ans à 6 ans et celui d’un crime de 10 ans à 20 ans. Elle consacre aussi la jurisprudence qui prévoit que le point de départ de la prescription court à compter du jour où les infractions occultes ou dissimulées ont été constatées dans des conditions permettant des poursuites.

Mais elle institue aussi un délai butoir de douze ans pour les délits (et de trente ans pour les crimes). Les infractions plus anciennes ne pourront donc être poursuivies.

Ces délais butoirs courent à compter de la commission de l’infraction. Ils ne figuraient pas dans le texte initial. C’est une initiative du Sénat. Pourtant, il n’y avait nul besoin de créer un délai butoir.

En effet, cette disposition neutralise partiellement l’état du droit antérieur. Elle aura des effets négatifs dans les affaires financières : il n’est pas rare en ce domaine que des enquêtes commencent plus de 12 ans après les faits. Souvent, ce n’est qu’à l’occasion d’une alternance dans une mairie ou d’un changement de patron ou d’actionnaires dans une entreprise qu’un manquement est découvert. Et parfois c’est lors d’enquêtes connexes, d’écoutes ou de tuyaux, que, des décennies plus tard, on découvre des malversations en marge de contrats de marchés publics ou de ventes d’armes.

Enfin, le texte initial de la loi permettait de réaliser une belle avancée en matière sanitaire et environnementale. En effet, en cette matière, les preuves apparaissent souvent au fil du temps. Une nappe phréatique peut être empoisonnée par des déchets toxiques mal évacués ou enterrés et les faits découvertes des décennies plus tard. Et certains médicaments, comme l’a montré le cas du Distilbène, peuvent montrer leurs effets secondaires nocifs sur plusieurs générations. Mais là aussi l’avancée sera modeste. Au-delà de douze ans, un voile d’opacité recouvrira ces délits.

9. D’autres sujets devront être évoqués pour rendre l’action publique pleinement transparente

Enfin, nous souhaitons rappeler des propositions de notre plaidoyer qui pourraient utilement enrichir les textes pour véritablement rétablir la confiance dans l’action publique :

  • supprimer les moyens exorbitants actuellement accordés aux anciens présidents de la République (et, dans une moindre mesure, aux anciens Premiers ministres) ;

  • d’améliorer la transparence du recrutement et de la promotion des agents locaux en créant un portail national unique de l’emploi public local;

  • favoriser le dépaysement judiciaire des affaires politiques ;

  • renforcer le contrôle de légalité par la création d’un parquet près les tribunaux administratifs ;

  • donner à la Cour de discipline budgétaire et financière le pouvoir de sanctionner les membres du Gouvernement et les élus locaux ;

  • sanctionner les poursuites-bâillon (plaintes dilatoires payées avec l’argent public) déposées contre les lanceurs d’alerte ;

  • Instaurer un contrôle préalable de l’utilisation de la protection fonctionnelle pour les élus (puisque selon la loi, elle ne doit pas être accordée pour des faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de leurs fonctions).

  • permettre l’affectation des biens confisqués à des activités d’intérêt général (afin de rendre tangible les fruits de la lutte contre la corruption et la fraude fiscale) ;

  • systématiser la publication en données ouvertes (open data) des informations et documents détenus par les autorités publiques.

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