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Anticor en Corse : de la lutte contre la corruption donc du crime organisé

Le 8 octobre 2015, la Commission Violence de l’Assemblée territoriale invitait Fabrice Rizzoli, spécialiste des mafias et du crime organisé. Fabrice Rizzoli est l’auteur d’un livre « La mafia de A à Z » et a reçu le prix Falcone des Droits de l’Homme en 2014. Il a fondé l’association Crim’HALT pour obtenir une loi d’usage social des biens confisqués. Il est aussi le permanent d’Anticor.

La Collectivité Territoriale corse est la « Région » en Corse. Elle se compose d’un exécutif avec son président, Paul Giacobbi (cf. l’enquête Corse), et d’une Assemblée avec un autre président Dominique Bucchini. Ce dernier a mis en place une commission de lutte contre la violence (Cf. janvier 2015). Pour cette dernière réunion de la mandature, il n’était plus question de violences faites aux femmes ou de violences à l’école mais de violences « économiques », celle des criminels professionnels (cf. Corse : mafia or not mafia? That is the question! ).

Mais, à part Etienne Bastelica (communiste et citoyen du Front de Gauche) et Dominique Bucchini, aucun élu n’est venu entendre les témoignages et les pistes proposées alors qu’ils étaient nombreux lors des autres sessions (cf. Corse matin, les élus sèchent…)

Les témoignages : de Mme Bianconi  (association anti-racket) puis de Gigi et Jean-Jacques Ceccaldi, un couple d’entrepreneurs rackettés qui ont porté plainte mais dont le procès s’est soldé par une relaxe, furent émouvants (cf. Flare France). Que de solitude face à une menace aussi forte ! Que le prix est élevé pour avoir fait valoir ses droits de citoyens! Les médias aussi avaient fait le déplacement. Soit comme speakers avec Thomas Brunelli, journaliste en Corse, et Salvatore Cusimano de la RAI-Sicile qui a envoyé une vidéo. Soit comme témoins avec la présence toute la journée de Corse matin et de Radio RCFM (itv du 9 octobre)

A la demande de la Commission, Fabrice Rizzoli a présenté une géopolitique critique des criminalités (cf. Séminaire Sciences-Po Paris) :  « Il n’y a pas d’un côté une économie légale et de l’autre une économie illégale, mais une seule économie dont les composantes sont enchevêtrées et solidaires » cf. Atlas de mafias, ed Autrement, 2014, p. 19. La Corse, la France ou l’Europe sont au cœur d’un système politico-économique mondial qui produit de la criminalité. Ce sont les fabricants de cigarettes qui se débarrassent de leur stock auprès des trafiquants et non pas ces derniers qui impulsent la contrebande de tabac dans le monde. C’est la « mondialisation » qui fabrique toujours plus de déchets ; une croissance associée à une production de normes qui accouche de réseaux parallèles d’écoulement de ces déchets. Les criminels ne sont pas des déviants, hors de la société. Ils sont dans la société. Ils sont le monde d’aujourd’hui (travaux Jean de Maillard, brillant magistrat français).

Par rapport à d’autres régions, la violence des professionnels du crime est sans aucun doute exacerbée en Corse. Mais Il n’existe aucun présupposé culturel en Corse comme ailleurs qui expliquerait une violence de ce type. La Corse est le monde et des solutions existent. Il appartient à l’État et aux élites de les proposer aux citoyens. Il n’est pas acceptable que l’État en appelle à la responsabilité individuelle sans prendre sa part (cf. France3 Corse). On ne peut pas demander à un élu de témoigner contre des gangsters si le Préfet n’assure pas le contrôle de légalité. L’État ne peut pas demander à des citoyens de lutter contre la corruption alors que le Ministre de la Justice nomme le procureur ! On ne peut pas demander aux commerçants rackettés de témoigner si on ne met pas en place un système de protection des témoins (cf. Le décret sur les « coopérateurs de justice » enfin signé?). L’état ne peut pas demander d’impliquer la société civile sans lui attribuer des biens confisqués…

Sur la violence comme sur l’économie criminelle mondialisée, Fabrice Rizzoli est revenu sur les solutions culturelles visant à impliquer la société civile, seule manière de renverser le rapport de force aujourd’hui en faveur des corrompus de tous bords. Il propose des projets pédagogiques dans les écoles (cf. « Entre les Lignes« ), revenant sur les expériences de lutte contre le racket en Italie (Addio pizzo)…. Citant le travail de l’association Anticor et de son référent en Corse Vincent Carlotti (cf. tribune du Monde), Fabrice Rizzoli a aussi évoqué la situation du maire Linguizetta menacé parce qu’il fait son travail de Maire en respectant le PLU, une mission peu soutenue par les préfets qui se succèdent (cf. Le Monde).

Présentant le modèle italien de lutte contre la grande criminalité qui a fait baisser la violence à de manière considérable par exemple en Sicile (5 meurtres mafieux par an pour 5 millions d’habitants), Fabrice Rizzoli a insisté sur l’usage social des biens confisqués comme mesure phare contre la violence. Il note qu’après 5 ans de lobbying en France, seule l’association Anticor à intégré dans son plaidoyer (art 19.) l’usage social des biens confisqués. Anticor est une véritable association, « du bas vers le haut« , qui refuse les subventions pour préserver son indépendance. Seule à ce jour, elle compris l’intérêt d’une telle mesure pour lutter contre la corruption.

En fin d’audience, Fabrice Rizzoli offert des produits fait par des coopératives sur des terres confisquées à la mafia. Depuis une loi de 1995, l’État peut mettre à disposition des citoyens des biens confisqués aux mafieux (cf. Article référence). La première coopérative en Sicile date des années 2000. En 2012, des jeunes dans l’arrière-pays de Palerme demandent un contrat de travail pour être embauchés dans un domaine agricole! (cf. écoute téléphonique d’un mafieux qui se plaint d’une telle demande sur ces terres.

Vous avez compris le cercle vertueux qu’amorce l’usage social des biens confisqués?

L’usage social des biens confisqués change les mentalités !

Le couple de citoyens victimes de racket est reparti avec un paquet de pâtes complète bio dont les céréales sont faites à Corleone, fief de la mafia et de l’Antimafia (cf. « La mafia de A à Z). Le président de la Commission, Dominique Bucchini, est reparti avec un pot de confiture de citrons produits par une coopérative dans l’arrière-pays de Palerme. Le terrain appartenait à un chef de la mafia qui a fait assassiner le juge Giovanni Falcone : aujourd’hui, des jeunes gagnent leur vie honnêtement sur ce terrain.

Le lendemain, Fabrice Rizzoli a rendu visite au maire de Linguizetta, Sevran Medori en photo à gauche…) et lui offert un paquet de Taralli dont les céréales sont faites dans une ferme de la région des Pouilles. Cette ferme et son terrain appartenaient à un mafieux de la Sacra Corona Unita, une mafia née dans les années 1980… comme en Corse.

Lutter contre la corruption c’est lutter contre les professionnels de la violence.
Lutter contre la violence érigée en système, c’est lutter contre la corruption.
Pour lutter contre la corruption, il faut changer les lois. Mais, pour changer les lois, il faut changer mentalités… et pour changer les mentalités, seule la redistribution à des fins sociales permet ce travail de moyen terme  à contrario des peines de prison avec sursis infligées les élus corrompus quand ils sont condamnés…
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