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Réformer la politique du médicament pour en finir avec les conflits d’intérêts.

Appel commun

Nous avons lancé en début d’année une opération « Mains propres » sur la santé pour dénoncer la généralisation des conflits d’intérêts et de la corruption qui mettent en péril notre État de droit et notre système de solidarité nationale garantissant l’accès aux soins à tous.

Nous faisons aujourd’hui appel à vous, Madame la ministre, à l’orée de l’examen de votre loi de santé, pour que figurent dans cette loi des dispositions permettant de compenser la faiblesse des moyens de contrôle démocratique dans l’exécution des politiques publiques de santé.

Connivence entre les autorités de santé

Si nous saluons dans votre projet de loi des avancées comme la reconnaissance de l’action de groupe dans le domaine de la santé ou la mise en place d’un service public d’information en santé pour se repérer dans le parcours de soins, il convient aujourd’hui de s’attaquer au cœur du problème : les intérêts privés qui viennent heurter l’intérêt général.

Cette connivence entre les autorités de santé, leurs tutelles et les firmes pharmaceutiques révélée par l’affaire Jérôme Cahuzac et le scandale du Médiator devient indécente avec le bonus de bienvenue et la mirobolante rémunération du nouveau DG de Sanofi ; laboratoire pourtant épinglé à moult reprises et encore récemment aux États-Unis pour rémunération de médecins « agents doubles » pour la promotion de son Lantus.

Lutter contre la surconsommation de médicaments

Nous vous rappelons, Madame la ministre, que les Français sont les plus gros consommateurs de médicaments en Europe (entre 50% et 100% de plus que nos voisins les plus proches).

En Italie, on constate que le coût collectif des médicaments en ville et à l’hôpital s’élève pour 2013 à 18 milliards d’euros dont 10% de TVA contre 34 milliards dont 2,1% de TVA pour la France, soit 85% de plus en hors taxe et à populations égales pour les mêmes résultats sanitaires.

En luttant contre cette surconsommation et cette surfacturation par une meilleure prescription et une réforme des modalités de fixation des prix, l’assurance-maladie (et les complémentaires) pourrait réaliser au moins 10 milliards d’euros d’économies avec notre système de dispensation, c’est-à-dire annuler son déficit chronique et ce sans dommage pour la santé publique, bien au contraire en terme de pharmacovigilance.

Réformer en profondeur la politique du médicament

Il faut pour cela une réforme totale de la filière du médicament, avec une lutte sans relâche contre les conflits d’intérêts.

Pour cela, non seulement les élus et les experts qui représentent l’État face aux laboratoires, mais aussi tous les médecins, doivent rendre publics leurs liens avec l’industrie pharmaceutique et répondre pénalement de leur responsabilité. Il faut sanctionner plus durement les laboratoires qui ne déclarent pas leurs liens avec la formation des médecins par l’instauration d’une pénalité à hauteur de 10% de leur chiffre d’affaire, qui nourrira la recherche publique et la formation indépendante des médecins.

Les missions de contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique doivent être étendues aux membres des instances liées à la santé publique.

Il faut mettre en place une expertise publique de qualité et impartiale en revoyant le système obsolète des scientifiques qualifiés bénévoles.

Pour une baisse générale des prix des médicaments

De même, il faut, comme vous y invite le Conseil d’État dans sa récente décision, revoir le décret d’application de mai 2013 de la loi Bertrand qui reste loin des ambitions initiales en matière de transparence laissant dans l’ombre les montants de contrats juteux liant l’industrie pharmaceutique à des médecins-relais qui assurent la promotion de ses nouveaux produits.

Enfin, la loi doit permettre d’assurer une baisse générale des prix des médicaments et il faut revoir le rôle opaque du CEPS (Comité économique des produits de santé). Depuis 2003 avec l’instauration de la procédure dite « de dépôt de prix », on peut dire sans exagérer que les prix des ASMR I, II et III sont fixés par les firmes titulaires de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) – le Comité économique des produits de santé n’intervenant que pour vérifier leur cohérence avec ceux pratiqués dans le reste de l’Europe.

Autre exigence : cesser les autorisations de mise sur le marché de complaisance, pour des médicaments sans plus-value thérapeutique (ASMR 5) et à prix prohibitifs et purger la liste des médicaments remboursés des médicaments inutiles.

Mais aussi optimiser la prescription médicale dans toutes les classes thérapeutiques avec la généralisation des génériques et l’uniformisation européenne de leur prix. De plus, la loi doit obliger pour les dossiers d’autorisations de mise sur le marché l’indication de tous les résultats négatifs des essais cliniques, sous peines de poursuites.

L’OMS recommande une convention internationale

Il faut mettre fin aux brevets pour relancer la recherche publique et le libre accès aux médicaments

La logique du brevet doit être revue avec une identification des médicaments présentant un fort intérêt public afin de permettre leur appropriation par l’État : la logique sanitaire devant primer sur la logique commerciale.

D’ailleurs, face à la cupidité des laboratoires pharmaceutiques et l’échec de cette politique à susciter suffisamment d’innovation, l’OMS a adopté une résolution visant à changer les règles du jeu de l’industrie pharmaceutique.

Ce rapport propose de redéfinir le financement et la coordination de la recherche et développement pharmaceutique de façon à répondre aux besoins sanitaires des pays du Sud. Sa recommandation principale est la négociation d’une convention internationale, engageant tous les pays, pour promouvoir la recherche et développement, que le marché seul ne suffit pas à stimuler.

Serait alors mis en place un fonds international, public, dont le financement serait pérennisé par une contribution obligatoire, adaptée au niveau de développement économique de chaque pays. Les produits des travaux financés de façon transparente par ce fonds seraient considérés comme des biens communs bénéficiant à tous.

Un accès aux médicaments pour tous

De même, la déclaration de Doha ou Déclaration sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique permet aux États d’agir pour leurs enjeux vitaux de santé publique dans le but de promouvoir l’accès aux médicaments essentiels pour tous.

Elle autorise ainsi un pays à octroyer à une société nationale une « licence obligatoire » lui permettant de copier pour son usage interne un médicament breveté en cas de situation d’urgence sanitaire nationale comme le SIDA, le paludisme, la tuberculose, le cancer ou l’hépatite C.

C’est ainsi qu’une dérogation aux droit des brevets reconnue par l’OMC le 30 août 2003 met en application l’article 6 de la déclaration de Doha et autorise les pays producteurs de médicaments génériques, comme l’Inde, le Canada ou le Brésil, à vendre des copies de produits brevetés à des pays incapables d’en fabriquer eux-mêmes. Il conviendrait d’étendre cette dérogation.

Il faut construire un mur parfaitement étanche

Pour que votre loi soit vraiment « refondatrice », il convient de construire, Madame la ministre, un mur parfaitement étanche entre les intérêts privés et la décision publique dans le domaine de la santé.

Nous vous invitons à faire preuve de cette volonté politique, de ce courage dont Jaurès disait que « c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe ».

Nous soutiendrons, Madame la ministre, toute lutte contre l’opacité et l’emprise des lobbies pharmaceutiques, pour la transparence et la considération de notre santé comme bien commun et non comme marchandise.

Signataires :
Irène Frachon (pneumologue, lanceuse d’alerte du scandale du Médiator),
Serge Rader (pharmacien, lanceur l’alerte),
Michèle Rivasi (députée européenne EELV),
François Autain (ancien secrétaire d’Etat et sénateur socialiste, auteur de plusieurs rapport sur les questions de santé publique),
Jean-Sébastien Borde (médecin, président du Formindep),
Dominique Bourg (philosophe),
Christophe Castaner (député socialiste),
Daniel Cohn-Bendit (ancien député européen),
Nicolas Dupont-Aignan (député, Debout la France),
Philippe Even (ancien doyen de la faculté de médecine de Paris et président de l’Institut Necker),
Pierre Larrouturou (co-fondateur de Nouvelle donne, conseiller régional Ile de France),
Corinne Lepage (ex Ministre et députée européenne, avocate, présidente de CAP21/ Le Rassemblement Citoyen),
Séverine Tessier (présidente d’Anticor),
Laurence Vichnievsky (magistrate, conseillère régionale Paca)

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